"- T’as laissé des restes de soupe sur les plaques de cuisson ! Heureusement que c'était à toi de nettoyer la cuisine cette semaine.
- Oh pardon, j'ai eu une grosse journée. Je pensais le faire ce soir.
- Non mais c'est toujours la même chose. Tu dis que tu vas le faire, mais tu ne le fais jamais. J’en ai marre, t’es tellement égoïste. A cause de toi, je me retrouve comme toujours à tout faire dans la maison.
- Je comprends, et je suis encore désolé. Je vais m'occuper de la cuisine maintenant.
- Non, laisse tomber. Je m'en occuperai comme d'habitude. Tu as probablement trop de choses à faire de toute façon.
Climat pour le moins électrique.
Que s’est-il passé ?
Jetons un oeil à cette nouvelle série de “transactions”.
Ton copain, furieux de voir que la cuisine n’avait pas été nettoyée comme il le voulait, s’en est pris à toi en endossant le costume de Bourreau - Persécuteur et t’a pris.e pour sa Victime.
Il s’est placé en posture haute, comme un parent grondant son enfant. Il s’est “laissé déborder" par sa colère et a profité de cet exemple pour tirer une généralité culpabilisante à partir d’un simple constat.Alors que tu cherchais à réparer la situation, il a changé de costume pour inverser les rôles : se placer en Victime et te placer en Bourreau qui lui impose les tâches ménagères par ta supposée inaction.
Dans le triangle de Karpman, le Bourreau interagit systématiquement avec celui qu’il prend pour une “Victime”. On le retrouve dans une infinité de situations. Extraits choisis:
Ton collègue qui critique sans cesse le travail des autres ;
Cette copine qui ne peut pas s’empêcher de relever tes défauts et de minimiser tes réussites ;
Ton grand-père autoritaire qui critique les choix de tous et impose ses propres décisions ;
Et ainsi de suite, les illustrations fleurissent souvent autour de soi dès qu’on s’y penche un tantinet.
La Persécution, au sens de Karpman, regroupe des comportements critiques, autoritaires, négatifs, ou qui indiquent un refus de responsabilité. C’est le fameux “Je suis entouré.e d’incapables”, ou “On n’est jamais mieux servi que par soi-même”.
J’ai pris la liberté d’enrichir le dernier schéma avec des phrases type que pourraient dire chacun des protagonistes. Dans le dernier article, je te parlais de la Victime avec un grand V, cette fois-ci, lumière sur le Bourreau 🪓
Dans ses cas les plus extrêmes, on trouve de la manipulation émotionnelle, même si ce comportement est souvent inconscient et trahit les insécurités de celui qui l’adopte.
Question à un million : as-tu déjà repéré les symptômes suivants, chez toi ou dans ton entourage ?
Un comportement critique qui pointe du doigt les faiblesses des autres ;
Un désir de contrôle et une posture de supériorité ;
Un renvoi de la responsabilité sur autrui ;
Un manque d’empathie et de sensibilité face aux émotions de ceux et celles qu’il “persécute” ;
Un sentiment de pouvoir dans la critique ;
Je pourrais continuer encore un moment, mais on a déjà de quoi faire.
C’est le cas ?
Pas de panique.
Il y a des moyens d’en sortir.
Si tu te reconnais tout ou partiellement, la première étape est de prendre conscience de ce mécanisme.
La deuxième est d’analyser tes croyances, tes insécurités, le besoin qui se cache derrière ce comportement.
La troisième est de faire appel à ton empathie et de communiquer tes besoins clairement - au lieu de blâmer ou de diminuer l’autre.
Et la quatrième est de développer ton estime de toi.
Si tu reconnais un.e de tes proches, plusieurs techniques peuvent être combinées.
Tu peux laisser l’autre exprimer sa colère, car elle est le signe d’un besoin qui n’est pas satisfait. L’idée n’est pas de te laisser marcher dessus, mais d’esquiver la posture de Victime que le Bourreau cherche à te donner. Christian d’Oriola bonjour 🤺.
Puisque les deux ne sont pas incompatibles, tu peux lui dire “Je te comprends” même si tu n’es pas d’accord. En faisant cela, sa frustration sera écoutée et sa colère n’aura plus lieu d’être. Si tout se passe bien, elle aura tendance à diminuer avant que tu n’en subisses les dommages collatéraux.
Si le Bourreau a tendance à t’infantiliser en te retirant ta responsabilité, tu peux la reprendre en t’affirmant sans agressivité et surtout sans te justifier. L’humour peut être une bonne arme de défense à condition de ne pas tomber dans le passif-agressif, ce qui te ferait revêtir l’habit de Bourreau à ton tour !
UCSF - Stephen Karpman à gauche contemplant Ken Everts. A l’arrière, tu noteras le “Switch” et le “All roles at once” à côté de son dessin.
🕵️ Nouveau scoop : Non seulement on jongle avec les rôles, comme ton copain plus haut, mais on endosse aussi tous les rôles.
Même si tu penses que le tien est cantonné à celui du Saint Bernard (aka le Sauveur, on y reviendra dans le prochain article), on est toujours le Bourreau de quelqu’un.
Comment en arrive-t-on au Bourreau ?
Bon nombre de facteurs aboutissent à une attitude dominatrice. Le besoin de contrôle en est la raison la plus fréquente. Le Bourreau cherche à détourner l’attention de ses propres insécurités en étant autoritaire avec autrui, par des actes ou des paroles infantilisantes. Le manque d’empathie est à la fois un symptôme et une raison, même si cela se travaille et peut s’améliorer. Les relations fusionnelles ou de symbiose peuvent aussi naturellement aboutir à un système de Bourreau - Victime. A cause de cette interdépendance relationnelle, on peut voir l’autre comme une extension de soi-même et lui imposer, par des actes ou des paroles infantilisantes, la même intransigeance que l’on peut avoir vis-à-vis de soi-même.
Tu l’entends, parfois, cette petite voix dans la tête qui essaye de te dénigrer ? Il peut lui arriver de déborder sur une autre personne si tes fragilités prennent trop de place.
Même si le Bourreau est une porte vers les jeux dramatiques de Karpman, la danse se fait à deux. Chacun peut donc sortir de la piste, et c’est une sacrée lueur d’espoir !
Instant karaoké. J’en connais un qui joue avec le triangle comme à la roulette russe 🔫
🎤 J'ai comme une envie de tourner le gaz
Comme envie de m'faire sauter les plombs
Comme envie de t'expliquer comme ça
Que ton indifférence, elle ne me touche pas
Je peux très bien me (passer de toi)
Mano Negra - Pas Assez de toi
Sources
Des scénarios et des hommes - Claude Steiner
Your Erroneous Zones - Dr Wayne W. Dyer (recommandation de mon amie Camille)
UCSF Archives and Special Collections
Visuels : Mark Stoop
Avant de faire l’annonce et l’apologie du dernier article de cette passionnante trilogie, je voulais prendre le temps de remercier tous les retours, suggestions, avis (et compliments, je ne vais commencer à mentir maintenant).
C’est déjà la preuve que cette newsletter est lue jusqu’au bout - habile, et pour couronner le tout ça m’encourage à poursuivre sur ma lancée.
Si tu veux me donner un coup de main, tu peux me laisser des idées pour améliorer la newsletter et me dire ce que tu en penses. Je saurai te remercier 🙏
On est ensemble - expression rapportée du Cameroun et que j’affectionne particulièrement 🇨🇲
Agathe